de Richard Wagner
opéra romantique en trois actes livret du compositeur
création : Weimar, Grosses Fürstliches Hoftheater, 28 août 1850
Chef d’Orchestre : Giuliano Carella
Metteur en scéne : Frédéric Andrau
Scénographie : Luc Londiveau
Lumières : Ivan Mathis
Orchestre et chœur de l’Opéra
Lohengrin : Stefan Vinke
Elsa : Ricarda Merbeth
Ortrud : Janice Baird
Friedrich von Telramund : Anton Keremidtchiev
Heinrich der Vogler : Bjarni Thor Kristinsson
Le Héraut : Simon Thorpe
Opéra de Toulon
Dimanche 29 janvier 14h30
Mardi 31 janvier & vendredi 3 février 19h30
PRESSE:
IN CONCERTO -NICE MATIN
Lohengrin retour Wagner opéra de Toulon
Ce Lohengrin à l’opéra de Toulon était l’événement attendu de la saison. L’accueil triomphal, lors de la première, dimanche après-midi, en dit long sur son succès. Le public a applaudi, hurlé, battu des pieds, remercié,pendant vingt bonnes minutes.
Une belle distribution, une direction musicale grandiose et une mise en espace intelligente ont fait du retour d’un Wagner sur la scène toulonnaise une réussite éclatante.
Les spectateurs en parlaient encore le lendemain…
La force et les contrastes de ce Lohengrin ont été superbement soutenus par l’orchestre, dirigé par le maestro Giuliano Carella. Ce chef d’envergure, féru du répertoire italien a relevé le défi de cette œuvre difficile, pour faire émerger une musique sublimée, justement équilibrée entre le faste, le fébrile, le lyrique et la douceur mélancolique. La recette a fonctionné, soutenue par les chanteurs, tous engagés dans un travail collectif exemplaire.
Lors de la première, dimanche après-midi, le baryton Anton Keremidtchiev avait annoncé quelque faiblesse due à une indisposition. Face à une superbe Ortrud (Janice Baird) il s’est montré extraordinaire. Riccarda Merbeth, qui a remplacé au pied levé Anna Gabler souffrante (dans le rôle d’Elsa), a apporté la preuve de l’étendue et la puissance de sa voix, ainsi que de la sûreté de ses aigus. Le ténor allemand Stefan Vinke (Lohengrin) possède un art sûr du phrasé et une qualité de chant incontestable.
Saluons également le Roi Henri (Bjarni Thor Kristinsson), le baryton Simon Thorpe, les quatre nobles qui aussi ont remporté un énorme succès. Le chœur, dirigé par Christophe Bernollin (pour le celui de Toulon) et par Noëlle Gény (pour celui de Montpellier) a assuré une belle présence et quelques beaux frissons. Grandiose, lui aussi, malgré quelques faiblesses au deuxième acte.
Un univers épuré
Le metteur en scène Frédéric Andrau a travaillé avec peu de moyens sur un univers épuré et sur l’évocation des événements. La sobriété de cette mise en espace, l’élégance de la scénographie (Luc Londiveau) et la beauté des éclairages (Ivan Mathis) ont permis de se concentrer sur cette merveilleuse musique et sur les voix. Quel bonheur ! Quelques astuces scéniques bien menées, des trompettes en écho dans les coulisses et dans les loges et mille subtilités psychologiques ont amplifié l’atmosphère de pureté et de mystère surnaturel, lié à l’œuvre de Wagner.
On peut ainsi considérer que ce Lohengrin marque une étape importante de la montée en puissance de l’Opéra de Toulon dans le panorama lyrique européen.
Rédigé par Jacqueline Cnobloch le 01/02/2012
FORUM OPERA
Le 29/01/2012
Lohengrin n’est pas resté en rade !
par Maurice Salles
Fameuse pour sa rade, Toulon abrite un opéra qui fut longtemps une sorte de conservatoire de la tradition, au sens péjoratif du terme. Depuis 2002 Claude-Henri Bonnet tâche de le ramener à la vie, en programmant autant que possible (et au grand dam de certains) des œuvres sortant des sentiers battus. Lohengrin est de celles-là, dans une maison où le répertoire italien exsude des murs. Mais ce choix d’une œuvre exigeant des moyens humains extraordinaires – musiciens et choristes supplémentaires, artistes rompus au chant wagnérien – ne relevait-il pas d’une ambition démesurée et n’annonçait-il pas un échec programmé ?
Après la première, on peut se prononcer : ni la commisération ni l’ironie ne sont de mise. Sans doute tout n’était-il pas impeccable, mais aucune des imperfections relevées n’est assez grave pour laisser l’impression durable d’une insuffisance rédhibitoire. Bien au contraire, il reste le sentiment exaltant d’une œuvre portée par la passion des participants, conscients de la difficulté et tendus tout entiers à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Réaliste et tenue par son budget, pour mettre sur pied une œuvre dont Wagner disait que « le drame est dans la musique » mais qui s’apparente au grand opéra, la direction a misé sur la musique et sur les voix, leur sacrifiant costumes et mise en scène. Et pourtant le spectacle épouse la musique, les actions et les affects des personnages ! Dans la scénographie de Luc Londiveau, la scène est divisée en deux parties où se répartissent hommes et femmes, Flamands et Germains, séparés par un praticable central surélevé où circulent les personnages principaux. Ces espaces signifiants, que des jeux de rideaux occultent ou dévoilent, reçoivent les lumières d’Ivan Mathis, dont la direction et l’intensité accompagnent les épisodes du drame, qu’elles tombent du ciel ou jaillissent des coulisses. Acteur lui-même, Frédéric Andrau a manifestement étudié l’œuvre à fond : les attitudes et les gestes des personnages, solitaires ou en interaction, en un mot leur être, émanent autant de la musique que des personnalités ou des situations. Solitude morale d’Elsa, velléités de Telramund, chatteries menteuses ou voluptueuses d’Ortrud, chasteté prude de Lohengrin, aucun affect n’est négligé. Même le Héraut, traité en majordome et maître de cérémonie, prend un relief et une vie inattendus. Beaux exemples du raffinement de ce travail, le traitement du duel où en lui prenant sa veste d’un seul mouvement Lohengrin dépouille Telramund de son surmoi, ou l’Ortrud prostrée à la fin du premier acte que l’on retrouve telle quelle, après l’entracte, au début du second, rétablissant ainsi la continuité interrompue par les contingences.
Cette réussite visuelle et dramatique accompagne une indéniable réussite musicale. Certes, quelques rares flottements se produisent dans l’enchevêtrement des chœurs au deuxième acte, certes l’émission du Roi est parfois brouillée, certes tous les graves d’Ortrud ne sont pas audibles, certes au troisième acte le vibrato d’Elsa devient sensible, et Lohengrin n’est pas à la fête. Et pourtant ces « faiblesses » ne suffisent pas à gâcher le plaisir parce qu’une réussite successive les fait oublier, ou parce que de façon paradoxale elles contribuent à la vie dramatique de l’œuvre.
Ainsi à côté du héraut plastronnant et claironnant – Simon Thorpe – le Telramund d’Anton Keremidtchiev, annoncé souffrant, peut-il sembler légèrement effacé pour incarner un chef de guerre ; ce serait oublier qu’ici Telramund est essentiellement le jouet de la ténébreuse Ortrud, et le chanteur exprime pleinement la faiblesse de l’homme devant la femme qui le domine. Janice Baird n’a pas tous les graves du rôle, mais qu’elle se fasse enjôleuse auprès d’Elsa ou qu’elle darde ses aigus chargés de venin, son Ortrud donne le frisson. En face d’elle, non Anna Gabler, terrassée par une bronchite, mais une remplaçante de luxe, Ricarda Merbeth, pour qui le rôle d’Elsa n’a plus de secret et qui a les moyens de l’assumer avec probité et crânerie. Une fois échauffée, elle en a libéré la lumière de l’innocence aussi bien que le trouble coupable de celle qui se parjure, admirable et émouvante. Quant au roi de Bjarni Thor Kristinsson, hormis cette émission déconcertante qui la fait sonner par instant dans les joues, la voix ne manque ni de poids ni de profondeur et le personnage, bienveillant, voire compatissant, est juste dramatiquement. Lohengrin, enfin. Avant même d’apparaître, tandis que Stefan Vinke chante en coulisse l’adieu au cygne, cette voix d’une clarté angélique nous a déjà séduit : c’est bien celle de l’envoyé du ciel. Sa présence physique n’enlève rien au charme, que prolongent les teintes mariales de ses vêtements. Peu à peu, et tout au long du deuxième acte, la couleur vocale change, s’assombrit, se fait plus ocre, au fur et à mesure que l’inconnu s’ancre dans les affaires des hommes. Au troisième acte, hélas, la fatigue se fait entendre ; à l’émission fluide et comme naturelle du début succèdent des efforts sensibles. Et pourtant cela passe, car le héros est alors au comble de son épreuve terrestre ; la difficulté vocale devient l’expression sensible de sa souffrance, et n’entache pas la prestation !
Wagner savait l’importance de la direction d’orchestre, pour que son drame conserve le « bon » rythme. Aurait-il aimé celle de Giuliano Carella ? Quelque spirite nous le dira peut-être. Ce qui est sûr c’est que le directeur musical de l’Opéra de Toulon, qui dirige l’œuvre pour la première fois, aime Lohengrin, qu’il aborde avec une ferveur proche de la vénération. On le perçoit dans sa concentration quasi-palpable, comme une immersion, dont une particulière sobriété gestuelle semble destinée à préserver la profondeur bien qu’il veille sans trêve au respect des infinies nuances. Autant qu’un chef, on croirait voir un prêtre. Les musiciens permanents, augmentés d’extras parmi lesquels d’anciens solistes de l’opéra de Paris, ont probablement adhéré au culte, excités par l’ampleur de l’entreprise. Sans doute çà et là se souvient-on de plus d’expressivité, de plus de transparence ; mais outre le fait que notre écoute est conditionnée par l’imposture des réalisations sonores enregistrées, revues et corrigées, il reste que sur la durée et la difficulté les différents pupitres s’en tirent avec honneur, cordes et vents en particulier. Les trompettes royales sonnent sans reproche, et la modification de leur situation dans l’espace entier du théâtre recrée de façon satisfaisante les effets de profondeur ou d’éloignement voulus par le compositeur. Cette variété d’effets est évidemment impossible pour les chœurs, eux-mêmes d’une tenue remarquable à deux brefs décalages près, mais encore une fois, les enregistrements nous ont probablement trop gâtés. Quand à l’équilibre sonore entre la fosse et le plateau il semble aller de soi, c’est dire sa qualité !
Lohengrin, on le sait, peut être considéré comme un manifeste esthétique, le héros incarnant l’artiste cherchant en vain sa place dans le monde, entre idéal et réalité. Ce compromis a priori impossible, cette représentation toulonnaise prouve pourtant qu’il est accessible, à notre grand bonheur !
CONCERTONet
« Remplaçantes » ?!
01/29/2012 – et 31 janvier, 3* février 2012
Richard Wagner : Lohengrin
Stefan Vinke (Lohengrin), Ricarda Merbeth (Elsa), Janice Baird (Ortrud), Anton Keremidtchiev (Telramund), Bjarni Thor Kristinsson (Henri l’Oiseleur), Simon Thorpe (Le Hérault)
Chœur de l’Opéra de Toulon, Christophe Bernollin (direction des chœurs), Chœurs de l’Opéra national de Montpellier Languedoc-Roussillon, Noëlle Gény (direction des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Toulon, Giuliano Carella (direction musicale)
Frédéric Andrau (mise en espace), Luc Londiveau (scénographie), Ivan Mathis (lumières)
R. Merbeth, J. Baird (© Elian Bachini)
Hosanna! Débutons cette recension par un chant de louanges: celui que mérite Claude-Henri Bonnet, directeur général et artistique de l’Opéra de Toulon. Car dans ce bastion de l’opéra italien qu’est la vénérable institution provençale, afficher un Wagner fait montre d’un vrai courage artistique – mais aussi financier! D’autant que, les deux chanteuses prévues à l’origine ayant déclaré forfait, ce sont deux des sopranos wagnériennes les plus demandées (et donc les plus chères…) de la planète qui sont venues sauver les trois représentations toulonnaises: Ricarda Merbeth dans le rôle d’Elsa et Janice Baird dans celui d’Ortrud… rien de moins! En fin de compte, ce sont quatre heures et demie d’une soirée magique – qui entrera sans nul doute dans les annales de la maison – à laquelle a pu assister un public venu (finalement) nombreux et reparti ébahi, conquis, heureux, faisant enfin une fête d’un quart d’heure (supplémentaire) à l’ensemble de l’équipe artistique au moment des saluts.
Premier motif d’enthousiasme: la «mise en espace» du comédien/metteur en scène Frédéric Andrau, dont nous avions déjà pu apprécier le travail in loco sur L’Enfance du Christ de Berlioz, en 2009. Ce jeune et talentueux homme de théâtre (formé à la Comédie de Saint-Etienne) renoue avec l’épure, la sobriété et l’élégance qui caractérisaient son approche scénique d’alors, et il a eu la judicieuse idée de s’entourer des mêmes complices qui avaient assuré son premier succès sur la scène toulonnaise: Luc Londiveau à la scénographie et Ivan Mathis aux lumières. S’inspirant très fortement (sans qu’on s’en plaigne) de l’univers esthétique du grand Bob Wilson, il baigne tout le spectacle dans d’envoûtantes lumières bleutées. On relèvera également une quasi-absence de décors (hors une passerelle centrale et quelques panneaux latéraux), ici remplacés par des figures géométriques créées par des rais de lumières verticaux ou horizontaux, typiquement «wilsoniens».
Le deuxième – celui auquel nous nous attendions le moins – est l’extraordinaire travail effectué par Giuliano Carella sur la phalange dont il préside aux destinées depuis 2006. Franchement, malgré toutes les louanges que nous ne cessons de formuler à l’égard d’un orchestre en constant progrès depuis qu’il est placé sous sa férule, nous ne nous attendions pas à un tel degré de beauté sonore. Après un Prélude d’un extrême raffinement, le chef italien semble privilégier une conception symphonique de cet opus du maître de Bayreuth, avec un souci tout particulier accordé aux détails instrumentaux. Un simple coup de timbales, un solo d’instrument à vent s’échappant de la ligne vocale, tel un trait de lumière, suffisent à plonger l’auditeur au cœur de l’œuvre. Les chanteurs, constamment couvés par le regard et la baguette du chef, gagnent également en fluidité dans le phrasé, sans rien d’emphatique, au fil de dialogues intimes d’une urgence et d’une intensité rares. L’équilibre entre fosse et plateau tient ainsi du miracle. Avant d’en venir aux solistes, une mention spéciale pour le Chœur de l’Opéra de Toulon, renforcé pour l’occasion par les Chœurs de l’Opéra national de Montpellier, qui atteignent ce soir un niveau exemplaire de force et de cohérence, d’engagement et d’expressivité.
Troisième satisfaction : un plateau vocal d’exception. A commencer par l’Elsa, vibrante et passionnée, de Ricarda Merbeth: timbre épanoui, émission d’une superbe égalité, couleurs de voix chatoyantes et radieuses, expression d’une bouleversante immédiateté… On ne sait où donner de l’oreille! De son côté, le ténor allemand Stefan Vinke apporte à Lohengrin un timbre très spécifique, plus clair que celui des grands titulaires actuels du rôle (d’une troublante similitude avec celui de Klaus Florian Vogt), qui répond admirablement à ce que le personnage a d’unique, comme cet aigu triomphant qui s’envole avec un héroïsme insolent dans une lumière dorée. Négociant sa difficile entrée avec autant d’aisance que d’élégance, il aborde le récit du Graal avec des ressources intactes et un sens du mystère poignant. Magnifique!
En Ortrud, l’Américaine Janice Baird tire le meilleur parti de la direction à la fois transparente et vibrante de Carella, imposant de bout en bout une ligne de chant exemplaire, dardant ses aigus venimeux comme autant de flèches empoisonnées et jouant à la perfection ce rôle d’enjôleuse perverse. D’une énergie souveraine, ses imprécations du II resteront comme un des temps forts de la soirée. En dépit d’une indisposition préalablement annoncée, Anton Keremidtchiev lui offre une réplique convaincante en Telramund(…), aux côtés du Hérault claironnant et vaillant de Simon Thorpe. (…)
En dépits de ces (légers) bémols, production vraiment digne des plus grandes scènes internationales.
Emmanuel Andrieu
ANACLASE
Lohengrin opéra de Richard Wagner
par bertrand bolognesi
– 3 février 2012
Il n’est pas si fréquent au mélomane toulonnais d’aller écouter Richard Wagner in loco. Faut-il le rappeler ? Les maisons d’opéra du sud de la France et ceux qui les fréquentent portent plus naturellement leur intérêt vers le bel canto, plus largement le répertoire italien, avec quelques avancées dans le catalogue français. Aussi se souvient-on d’y avoir vu un Parsifal à l’hiver 2010 (Nice) et une Walküre au printemps 2007 (Marseille) ; c’est peu. Programmer un « grand » Wagner (pas Fliegende Holländer, par exemple) à Toulon fait donc figure d’événement. Aussi les lieux paraissent-ils, de prime abord, s’y prêter relativement mal ; et pourtant… Le choix d’une mise en « espace » plutôt qu’en « scène » de la part d’un directeur qui mise le maximum sur l’excellence de sa distribution semble le plus sage, quand bien même certains pupitres d’un orchestre plus développé que le permettent les proportions locales occupent-ils bravement les baignoires (de fait, il en va exactement de même si l’on joue Wagner à Bordeaux, Nancy, Strasbourg, etc.).
Claude-Henri Bonnet a confié les clés de Lohengrin à Frédéric Andrau dont nous avions apprécié le travail pour L’enfance du Christ (Berlioz), ici-même il y a trois ans [lire notre chronique du 27 février 2009] ; nous retrouvons la même équipe, avec Ivan Mathis aux lumières et Luc Londiveau pour la scénographie. Le dispositif est sobre, aisément utilisable, idéal pour un ouvrage qui principalement convoque des tribunaux. Et l’on se surprend à trouver plus d’une fois la proposition d’une efficacité troublante, partant que les chanteurs l’habitent avantageusement, sans qu’on en puisse attendre, cela va de soi, de lecture hautement symbolique. Une passerelle centrale délimite deux « réservoirs » choraux et se conclut dans une coursive de haut de scène d’où sonnent les cuivres dramatisés. Quelques options de théâtre, toutefois, comme l’enfant qui traverse de sa délicate diaphanéité le tulle brumeux en fin de Vorspiel, comme le Héraut se faisant chef de chœur, fonctions qu’il cumule à celles de rapporteur de l’État, de maître de cérémonie, voire de grand manitou de la propagande, autant de petites touches qui tendent à faire sortir de son cadre la mise « en espace » annoncée. Et à parler espace, celui de ce soir, à se laisser dessiner par les contrastes d’éclairage, s’avère suffisamment évocateur, à l’instar, peut-être, des productions signées Wieland Wagner – pour ce qu’on en connaît à travers les documents conservés (il appartient à la génération qui les aborda en leur temps de démentir ou non ce propos).
Surprise, encore, d’entendre Giuliano Carella dans cette musique ! Non seulement sa lecture se révèle pertinente et soignée, mais encore lui imprime-t-il un lyrisme d’une tendresse fervente qui, plutôt que de se fossiliser en excessive solennité, se love, fluide, dans la veine enchanteresse de la partition. S’étonnera-t-on d’un je-ne-sais-quoi d’italien dans l’interprétation, un côté qui n’a certes rien d’antagoniste avec le Wagner de cette époque, voire avec ce que le compositeur recherchait dans une voix ? Que certains chœurs s’articule sur un mouvement bellinien n’est pas un non-sens, bien au contraire, il convient de le rappeler. Au service de son expressivité, l’Orchestre de l’Opéra de Toulon affirme de nets progrès qui donnent à penser la positive émulation suscitée par un tel projet, capable de tirer les forces maison vers le haut. Ainsi des cuivres pugnaces, de violoncelles et contrebasses musclés, avantageusement impactés, mais encore des artistes du Chœur de l’Opéra de Toulon et de ceux de l’Opéra national de Montpellier à leur prêter gosiers-forts (respectivement préparés par Christophe Bernollin et Noëlle Gény), dont on saluera particulièrement les éléments masculins.
Lohengrin, outre un orchestre omniprésent qui, à lui seul, raconte beaucoup, et un chœur qui, pour ainsi dire, le rend publique, c’est aussi de grandes voix. Le style épique attendu lorgne par moments de l’autre côté des Alpes, assurément, avec quelques points d’orgue assez ostentatoires, mais nous entendons là un plateau de haute tenue dont on saluera tant les prestations solistiques que les ensembles, avantageusement équilibrés et minutieusement conduits. Des quatre nobles, Kakhaber Shavidze retient l’attention. Timbre corsé, aigu cuivré, projection incisive caractérisent le Héraut de Simon Thorpe. L’Islandais Bjarni Thor Kristinsson paraît en petite forme, aujourd’hui, avec un aigu assez aigre, une ligne qui jamais n’atteint la plénitude souhaitée, une puissance manifeste qui, paradoxalement, semble quelque peu écrasée. Quoiqu’annoncé souffrant en lever de rideau, le baryton Anton Keremidtchiev offre un chant souple, direct, à Telramund. À peine pourrait-on supposer ses intervalles plus faciles d’habitude ou la clarté de la couleur plus brillante encore.
Après l’avoir applaudie en Isolde et en Brünnhilde [lire nos chroniques du 8 mars et du 20 mai 2007], nous reconnaissons l’idéal métal de Janice Baird qui campe ici une Ortrud sobrement enjôleuse, quand elle n’est pas génialement lascive et perverse. Si le grave est un peu dur, toutefois (est-ce un rôle de soprano dramatique qui a du grave ou de grand mezzo qui ne plafonne pas, « that is the question »), le chant se déploie toujours large, puissant et sensiblement nuancé. Présente à maintes reprises sur la scène toulousaine, mais encore à Paris, Ricarda Merbeth livre une Elsa toute de subtilité, surfant délicatement sur la réserve à l’Acte I, menant adroitement le faîte du chant par la suite, faisant toujours profiter d’une opulence vocale utilisée avec discernement. Enfin, survenant des coulisses, la première « apparition vocale » de Lohengrin prend des atours d’enfantine pureté grâce à l’émission exquise et claire de Stefan Vinke. Par la suite, on retrouve les qualités de fermeté du ténor allemand qui signe une incarnation de grande tenue.
BB
CONCERT CLASSIC
le 05 Février 2012 –
Lohengrin à l’Opéra de Toulon – Celui qu’on n’attendait plus…
Inutile de surcharger la symbolique de Lohengrin : elle est bien assez évidente – dieux et héros, spiritualité et ésotérisme chrétiens face aux résurgences d’un paganisme barbare, érotisme et platonisme, nuit et lumière, enfin une germanité grondante prête à exploser. C’est donc avec un bonheur total qu’on se laisse emporter au cœur de ces forces avec pour guide la claire mise en espace – en fait une vraie mise en scène – de Frédéric Andrau, scénographiée par Luc Londiveau, sur le plateau de l’Opéra de Toulon. Un événement pour la maison, et une vraie réussite tant on est heureux d’être, sans tomber dans le caractère ingrat des versions de concert avec lunettes, pupitre et bouteille d’eau, libéré des tentatives extravagantes qui tentent de revivifier les œuvres à coup de persiflages et d’enfantillages, comme les récents Faust et Manon de l’Opéra de Paris, vraies blessures infligées au public et aux compositeurs. Bravo donc pour cette scène structurée de registres d’ombres et de lumières bleues, avec juste quelques dénivellations qui permettent le positionnement des solistes et des choristes et dégagent les lignes de force.
On a surtout apprécié la caractérisation psychologique très éloquente du quatuor : pureté foudroyante de Lohengrin le blanc face au mal absolu incarné par Ortrud, néant de Telramund, humain égaré entre ses devoirs et ses passions, enfin innocence flottante et dupée d’Elsa. Autant que des valeurs métaphysiques, l’affrontement des faibles et des forts, dégageant notamment le côté looser de Telramund, possédé par la passion érotique qui l’enchaîne à sa sorcière : un couple fusionnel, en regard de l’attirance contenue, presque paralysante d’Elsa et de Lohengrin, anticipant sur l’inexistence de leur union. Cette vision intelligente est portée, magnifiée par de superbes interprètes, parfaitement complémentaires. Malgré des changements de distribution de dernière minute, et non des moindres puisqu’il s’agissait d’ Elsa et Ortrud, le directeur, Claude Henri Bonnet, a pu rassembler une distribution de premier ordre, où brillait l’Elsa inspirée et puissante de Riccarda Merbeth, le Telramund au beau timbre clair, à la présence sensible et émouvante d’Anton Keremidtchiev, très loin des sombres figures habituelles, tandis que Janice Baird compensait par son tempérament volcanique les difficultés qu’impose ce rôle de mezzo à ses aigus de soprano. Mais la meilleure surprise est venue de celui qu’on espérait sans y croire, tant les ténors capables de l’incarner sont rares, le Lohengrin de Stefan Vinke, chanteur de bonne réputation mais qu’on connaît mal en France : des aigus clairs et scintillants, quoiqu’un peu affaiblis vers la fin, une présence à la fois charnelle et translucide, un charme singulier.
Tout cela ne serait rien sans la puissante baguette, l’énergie et charisme de Giuliano Carella qui fédère et obtient des merveilles de l’Orchestre de l’Opéra de Toulon, transcendé par l’aventure, y jetant tout, même ses défauts, à commencer par les cuivres. Reste le point faible, le décalage des chœurs pourtant couvés par le chef, qui ne les quittait pas de la baguette. Cela n’a pas refroidi l’émotion du public et son enthousiasme pour ce spectacle d’envergure internationale.
Jacqueline Thuilleux
METAMAG
L’OPÉRA DE TOULON DAME LE PION À BAYREUTH
Un Lohengrin exemplaire avec deux divas de première grandeur
Christian Jarniat le 27/02/2012
L’Opéra de Toulon, sous la houlette de son avisé et dynamique directeur, Claude-Henri Bonnet, avait déjà fait très fort en annonçant, depuis plusieurs mois, que « Lohengrin » serait à l’affiche avec deux interprètes féminines représentant chacune une génération du prestigieux Festival de Bayreuth : Elizabeth Connell qui y avait débuté avec une remarquable Ortrud dans les années 1980 (et qui poursuivait encore sa carrière dans les grands rôles de répertoire de soprano dramatique jusqu’à son décès survenu le 18 février) et Anna Gabler qui, l’été dernier, y assura quelques représentations de « Lohengrin ».
Pour des raisons diverses, les deux cantatrices n’ont pu assumer le rendez-vous prévu à Toulon. Qu’à cela ne tienne, Claude-Henri Bonnet eut la chance, inouïe, de pouvoir, tour à tour, les substituer, en engageant deux divas au sommet de leur carrière : d’une part, l’américaine Janice Baird, qui sera la prochaine Brünnhilde de la Tétralogie, à l’Opéra de Paris ,et qui s’est illustrée sur toutes les plus grandes scènes lyriques de la planète, du Metropolitan Opéra de New-York à l’Opéra de Berlin, en passant par le Festival de Salzbourg ; d’autre part, l’allemande Ricarda Merbeth, qui peut revendiquer, dans ces mêmes lieux, une gloire équivalente à celle de sa consœur, tout en étant une habituelle titulaire de tous les rôles wagnériens au Festival de Bayreuth et l’idole de l’Opéra de Vienne, où elle a chanté nombre de rôles de Mozart et de Richard Strauss.
Deux électrisantes cantatrices internationales
La présence de ces deux électrisantes cantatrices a, véritablement, transcendé les représentations de ce « Lohengrin » et on a pu entendre nombre de réflexions de spectateurs qui faisaient la comparaison avec la production de l’Opéra de Paris (mise en scène de Robert Carsen) ou celle, plus récente, du Festival de Bayreuth (mise en scène de Hans Neuenfels), pour souligner que l’Opéra de Toulon avait, à l’écoute du plateau vocal, largement damé le pion à ces deux théâtres.
©Elian Bachini
Il est vrai qu’un soin tout particulier avait été porté à tous les aspects de la représentation de l’œuvre de Richard Wagner, notamment sur le plan musical, où il n’est pas douteux que le chef titulaire, Giuliano Carella, a fait un travail considérable, même si l’effectif des musiciens ne peut rivaliser, du moins en nombre, avec les formations plus opulentes de théâtres plus importants.
La qualité des cordes, comme celle des vents (on pense notamment à l’intervention toujours très délicate des trompettes, pour la circonstance réparties dans les loges élevées de la salle), n’appelle pas le moindre reproche et le chef a tenu d’une main, ferme et exigeante, sa phalange, de la première à la dernière note, bien secondé par les deux chœurs de l’Opéra de Toulon et de l’opéra National de Montpellier , réunis pour la circonstance.
Une mise en espace sobre et d’une profonde poésie
A l’heure où règnent en maîtres, notamment en Allemagne et dans les pays de l’Est, les metteurs en scène adeptes du « Regietheater » et les propositions destructrices qui en découlent (et Bayreuth en est, hélas, un exemple typique avec, entre autres, sa production de « Tannhaüser », unanimement vilipendée), il est particulièrement heureux de revenir aux fondamentaux d’une présentation classique et dépouillée. Et l’on doit dire tout le bien que l’on pense (mais cet avis a été largement partagé par le public) de la mise en espace intelligente et sobre de Frédéric Andrau, qui va à l’essentiel, bien secondé par la scénographie de Luc Londiveau et les lumières d’Ivan Mathis. Redonnant à « Lohengrin » à la fois sa noblesse, sa puissance et sa profonde poésie romantique. Il ne s’agit, au demeurant, en aucun cas, d’une simple version de concert où les interprètes sont immobiles et « en rang d’oignons », mais d’un véritable jeu dramatique, où le public peut suivre, clairement, l’action et l’évolution psychologique des personnages en costumes adéquats.
Nul besoin de considérations fumeuses. Tout s’inscrit dans une ambiance hiératique, où les yeux sont satisfaits et, bien plus encore ici, l’oreille, avec un plateau vocal de très haute qualité. Dire que Janice Baird et Ricarda Merbeth ont été magnifiques est, en l’occurrence, un pléonasme. Enfin, on a retrouvé de grandes et belles voix qui font mentir ce qui est devenu, quasiment, un adage, aux termes duquel il n’y aurait plus de chanteurs wagnériens.
Mais il y a eu, aussi, une véritable révélation : celle du baryton bulgare, Anton Keremidtchiev, qui chante un Frédéric de Telramund nanti d’une ligne d’une pureté de style qui nous change agréablement des voix rocailleuses ou engorgées que l’on a souvent entendues dans cet emploi. Il est vrai que ce chanteur possède un large répertoire où se répartissent, avec discernement, les rôles de compositeurs italiens et allemands. Son duo avec Janice Baird au deuxième acte a incontestablement constitué un sommet musical et expressif.
©Elian Bachini
Nous avions déjà entendu Stefan Vinke dans Bacchus, d’« Ariane à Naxos », à l’Opéra de Paris. Son Lohengrin, mâle et puissant, avec des aigus bien en place, fait preuve, là encore, d’une santé vocale qui tend à disparaître dans la génération des ténors dramatiques. Il faut aussi louer le Héraut de Simon Thorpe et, dans le rôle du Roi Henri, la basse islandaise Bjarni Thor Kristinsson. Une représentation de grand style, à marquer d’une pierre blanche dans les annales de l’Opéra de Toulon.
Christian Jarniat
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